Centres d'appels : une polémique stérile pour le client
Un débat enflamme les professionnels du centre d'appel en France. La raison ? Les déclarations de Laurent Wauquiez, le secrétaire d'Etat chargé de l'emploi à propos de la sous-traitance des appels téléphoniques à l'étranger (le "off shoring"). Déclarations qui accompagnent un "plan de lutte contre les délocalisations de centres d'appel" en plusieurs points et qui font vraisemblablement suite à l'annonce du plan de restructuration de Teleperformance le 1er juillet.Tout d'abord, un point sur les chiffres :"Entre 2004 et 2009, le nombre d’emplois délocalisés dans ce secteur est passé d’environ 10000 à 60000." nous dit le Parisien."Cette filière emploie plus de 260000 personnes en France (contre 1 million au Royaume Uni)" et "Plus de 10000 emplois crées chaque année depuis 3 ans" déclare l’AFRC, l’ALRS et le SP2C dans un communiqué commun en réponse au Secrétaire d'Etat.Récapitulons les points principaux de ce "plan de lutte" qui suscite tant de débats :Faire payer via une taxe téléphonique les entreprises qui sous-traitent à l'étranger.Aider les entreprises qui ne délocalisent pas avec une "prime symbolique" et consentir "des aides au recrutement, à la formation, à l'installation en zone rurale ainsi que sur des allégements de cotisations sociales."Faire appliquer un code de bonne conduite pour les entreprises publiques.Organiser des "assises des centres d'appels" avec la participation de grandes entreprises comme Gaz de France, Bouygues Télécom, EDF et la SNCF. Ces assises s'accompagneraient également d'un arrêté ministériel qui obligerait les entreprises recourant à des centres d'appels à garantir la "transparence" sur leurs lieux d'implantation.Pour Emmanuel Mignot, PDG de Teletech International, tout cela n'est qu'utopie, comme le rapporte La Tribune.Sur son blog, Manuel Jacquinet, rédacteur en chef du site En-contact, parle de "ligne Maginot antidélocalisation". "Sur la proposition du gouvernement d’annoncer la localisation géographique de l’appel, le sujet est complexe et ne correspond pas à une attente des clients. Cette annonce risque de rallonger le traitement de la demande, alors que ce qui compte avant tout, c’est d’offrir un service de qualité." déclare pour sa part Eric Dadian, président de l’AFRC.
Je pense personnellement que le gouvernement ne trouvera pas de soutien populaire à ses mesures. Rappelons que ce débat a eu lieu aux États-Unis en 2004 lors des élections présidentielles. La relocalisation (sur fond de xénophobie) des centres d'appel sous-traités en Inde, aux Philippines, en Amérique du sud était alors un des débats qui opposait George W. Bush à John Kerry. Lisez l'excellent livre "Your call is not as important to us" qui en fait l'historique. Notre très généreux Gouvernement français aura beau distribuer des bons points et des subventions et imposer des taxes, les syndicats auront beau s'époumoner à crier au loup, la réalité économique ne changera pas : "un salarié d'un centre d'appel marocain est payé entre 400 et 450 euros mensuels contre un minimum de 1.320 euros bruts en France (primes et 13e mois inclus)" (source SP2C cité par La Tribune). Rappelons également que le développement des centres d'appel dans les pays concernés est un formidable levier de développement économique et social pour eux.
Que faut-il faire concrètement ?Faire évoluer les filières de formation françaises et revaloriser ce métier. La France souffre chroniquement d'un désintérêt et d'une dévalorisation des métiers de la relation client.Faire le pari de la qualité en améliorant les conditions de travail des salariés du secteur (pensez à l'exemple de Zappos aux Etats-Unis qui n'impose pas de scripts ni de temps d'appel maximum à ses télé-opérateurs, les forme, leur donne du pouvoir et de la liberté).Faire preuve de créativité en développant le "home shoring" par exemple (saviez-vous qu'aux Etats-Unis se développe la prise de commande à distance par des opérateurs à leur domicile chez McDonald's sur la borne au volant de sa voiture ? ), ou bien les centres d'appel dans les prisons. Autant d'idées lues dans le livre "Your call is not as important to us".Cesser l'hypocrisie qui consiste à demander à des opérateurs étrangers de changer leur prénom (un sujet qui revient dans les discours des politiques depuis 6 ans, de Sarkozy à Wauquiez). C'est un débat d'un autre âge de donneurs d'ordre racistes et arriérés. Un opérateur devrait s'appeler Pierre alors qu'il s'appelle Mohamed à l'heure ou le plus célèbre capitaine de l'équipe de France de football s'appelle Zinédine et le Président des Etats-Unis s'appelle Barack ? Le changement de prénom ne changera rien à leur capacité à répondre au client. C'est vraiment l'hypocrisie à la française, illustré dans un autre registre par le CV anonyme. On ne luttera pas contre le racisme en masquant la diversité de notre pays et du monde dans lequel on vit. Les entreprises qui demandent à leurs opérateurs de changer de prénom pensent-elles que leurs clients sont tous racistes ?Qualifier les appels. Le téléphone, principal canal de communication avec le client dans les services client, n'a pas le sens du client. Affecter à chaque contact un niveau de difficulté ou un statut de client est une solution de bon sens. Demande simple ? Transférez à l'interlocuteur de base ou à l'agent virtuel interactif. Problème technique complexe ou dossier de SAV subtil ? Passez le technicien. Fidèle client ? Qu'une personne formée à une bonne relation prenne l'appel ! Que l'un ou l'autre de ces appels soit traité en France ou dans un pays étranger n'est pas la question car il s'agit d'un choix de l'entreprise qui décide de faire du marketing client de masse ou du marketing client ciblé. Les entreprises se font du mal en n'investissant pas sur la qualification et sur la qualité de la réponse dont le seul juge est le client.Par ailleurs, je ris d'avance en pensant que les assises organisées par le gouvernement risquent de tomber à quelques jours de la sortie du film 118 318 sévices clients (produit par Manuel Jacquinet) qui promet d'être assez saignant, comme le suggèrent les extraits disponibles sur le site et celui en illustration de ce billet.
Billet écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels du marketing client.
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